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Baccara II, un jeu dangereux : Travail de réécriture

 

 

Baccara II,

un jeu dangereux.

Travail de réécriture

 

Version du 3 avril 2017

 

d'après le roman Baccara d'Hector Malot.

 

Oeuvre dramatique écrite par les élèves de Seconde 14 du lycée Jacques Prévert de Pont-Audemer, dans le cadre du cours de Français.

Disponible en format word :

baccara_ii_h._malot_theatre.docx

Acte I

Scène 1

Un jeune homme, François assis à une table dans un café, lit le journal d’Elbeuf « l’Honnête homme », pendant qu’un autre homme boit son café.

 

Paul

Alors quelles sont les nouvelles du jour ?

 

François

Un grand titre sur Constant Adeline, le chef de la maison actuelle, le digne héritier de ces sages fabricants. Je me souviens très bien de lui, dès le collège où il s’était montré intelligent, studieux bon camarade, estimé de ses professeurs. On trouvait en lui un garçon élevé dans la chrétienté et de complexion religieuse, ce qui était rare dans la génération 1830. Il a atteint le tribunal de commerce, le conseil général et enfin la chambre où il est un excellent député, appliqué au travail, écouté de tous. Parfois il inspirait crainte à ses amis, on disait qu’une femme galante l’accompagnait ; un acheteur de laine les avait rencontrés dans des casinos, où Adeline jouait gros jeu.

 

Paul

J’ai déjà beaucoup entendu parler de cet homme, mais je n’en savais pas autant sur lui. D’ailleurs moi, je ne me suis pas présenté, je m'appelle Paul. Est-ce possible venant d’un garçon si sage ?

 

François

Et oui, il s’était laissé entraîner. Comment ? Il ne le comprenait pas. Il n’aimait pas le jeu, mais humilié d’avoir perdu son argent, il avait voulu le récupérer. On l’avait marié. Et depuis cette époque il avait été comme ses amis le disaient en plaisantant, exemple des maris, des fabricants, des juges au Tribunal de Commerce, des conseillers généraux, des jurés d’expositions et des députés.

 

Paul

Que lui manquait t-il pour être heureux ? N’avait-il pas tout ; l’estime, la considération, les honneurs, la fortune ?

 

François

Et surtout l’honnête fortune, loyalement acquise si elle n’était pas considérable.

 

Edouard

Ah ! Bonjour François. Avez-vous vu ce grand titre dans « L’honnête homme », sur mon ancien employeur ?

 

François

Oui, c’est justement notre sujet de conversation. Je te présente Paul. Prends un café, et viens t’installer avec nous. Tu as des choses de plus à nous ajouter sur M. Adeline ?

 

Edouard

Il me parlait beaucoup de sa famille. A sa mort, le père de Constant avait laissé deux fils. Constant, et Jean le cadet qui, au lieu de s’associer avec son frère, avait fondé une importante maison de laines, à Paris. Sa femme avait abandonné tout ce qu’elle possédait. Après avoir vendu ses propriétés et ses valeurs immobilières, elle s’était encore fait remboursé par Constant, la part qu’il lui revenait dans la maison d’Elbeuf. Il lui avait alors donné entière, autant par respect pour la volonté de sa mère, que pour l’honneur de son nom, qui ne devait pas figurer au tableau des faillites.

 

PAUL

D’ailleurs c’est à cette époque qu’a eu lieu la crise commerciale, ne l’avez vous pas subie ?

 

EDOUARD

Malheureusement, il se produit des changements radicaux dans la mode,, actuellement. Le tissu fabriqué à Elbeuf qui est pourtant d'une supériorité reconnue n'a plus la cote, on lui a préféré le tissu serré, en chaîne, fabriqué en Angleterre et à Roubaix. Et lorsque tout a été déposé par le fabricant pour faire une étoffe neuve, elle doit se vendre pour la saison en vue de laquelle elle a été créée mais suite à on ne sait quelle raison, crise commerciale, changement de mode, il ne pouvait plus vendre, puisque les acheteurs pour lesquels on travaillait ne se présentaient plus.

Scène 2

Mme Adeline vêtue d’un col roulé et d’une jupe noir avec une croix autour du cou et d’une queue de cheval basse. Dans un appartement bourgeois de style parisien se trouvant à Elbeuf. Elle est accompagnée de sa bru qui est vêtue d’une robe vichy noir et blanc, de souliers noirs. Elle est coiffée d'un chignon.

 

MME ADELINE, apeurée

Est-ce que vous avez une erreur de caisse, ma bru ? 

 

 

LA BRU

Non.

 

MME ADELINE

Qu'y a-t-il ?

 

LA BRU, énervée

Mais rien.

 

MME ADELINE, angoissée

Craignez-vous une nouvelle faillite ?

 

LA BRU

Messieurs Bouteillier frères ont suspendu leurs paiements.

 

MME ADELINE :

Vous êtes engagée avec eux pour une grosse somme ?

 

LA BRU :

Assez grosse.

 

MME ADELINE :

Et elle vous manque pour votre échéance ?

 

LA BRU :

Constant doit m’apporter les fonds.

 

La Maman paraît soulagée. Une jeune fille entre, vêtue d’une robe col claudine, d’une paire de collants noirs et de souliers noirs, coiffée de deux couettes.

 

LA NIÈCE, joyeuse

Ma Tante, faut-il ouvrir ?

 

MME ADELINE, surprise

Mais sans doute Léonie !

 

Scène 3

Dans un appartement bourgeois, à Elbeuf, Mr Eck tout de noir vêtu, avec un chapeau melon et Mme Adeline, habillée d’une grande robe.

 

MME ADELINE

Que me vaut l’honneur de votre visite ?

 

M. ECK, avec un accent alsacien

Avec Michel, nous sommes les personnes qui avons le plus d’estime pour Berthe. C’est une jeune fille d’une intelligence remarquable et d’une beauté extraordinaire, c’est ce que dit Michel à chaque fois que nous la voyons. Alors avons nous pensé qu’il serait peut être sage de les marier.

 

MME ADELINE, se retourne

Nos filles avaient toujours été mariées à des hommes riches, qui ne faisaient pas honte à notre famille quand les affaires allaient bien ; quand elles allaient moins bien, à des hommes moins riches elle pouvait être mariée, mais là, un juif ! Nos affaires ne vont pas bien du tout.

 

M. ECK

Que dites vous ?

 

MME ADELINE, surprise

Je disais que Michel est un homme respectable et qu’il serait inenvisageable de voir ma fille mariée à M. Debs.

 

M. ECK

Mais encore ?

 

MME ADELINE

Euh… Ma fille est chrétienne, Michel est de confession juive ; alors il serait peut être mal vu qu’un juif et une chrétienne soient mariés .Et je ne suis pas sûre que Berthe ait envie de partager sa vie avec ce jeune homme, même s’il est fort sympathique et aimable.

 

M.ECK, interdit, surpris

Donc mon cher neveu ne mérite pas d’être marié à votre fille, sous le prétexte qu’il est juif et qu'elle est chrétienne ?

 

MME ADELINE, hésitante

C’est... en... quelque... sorte… la... raison... de… mon... refus... devant... cette... requête...

 

M. ECK, se retire

Eh bien ! Ainsi soit -il, mais il faudra bien un jour qu’elle se marie à quelqu’un …

 

Scène 4

Monsieur & Madame Adeline et la maman sont réunis dans le bureau familial et discutent de la proposition de mariage de la maison Eck& Ddes.

La Maman, d’un ton sévère presque enfantin

Mais il est juif, et tu gardes ce calme en le voyant nous faire cette injure.

 

Constant

Je suis au moins aussi surpris que vous.

 

La Maman, sarcastique et grave

Surpris, surpris que tu es ! Tu crois que c’est la surprise qui me lève de ce fauteuil. Il ne s’agit pas de sa position, il s’agit juste de sa religion : il est juif et son neuveu l’est aussi.

 

Constant, persistant

Mon dieu maman, permets-moi de dire que c’est là un préjugé. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour voir quelle place ils occupent aujourd’hui dans notre monde : la finance, haut commerce et l’industrie. D’un ton enjoué. Il est facile de prévoir que bientôt le chrétien sera esclave du juif. En tête des personnes citées aux premières représentations, ce sont des personnes que tu trouveras.

 

La Maman, exaspérée

je suis bien vieille et paralysée, je n’ai plus d’initiative ni d’autorité, je n’ai plus la fortune qui la fait respecter, je ne suis plus rien, mais au moins je suis encore ta mère et jamais je ne te permettrai de plaisanter avec ma foi. Tu es devenu un incrédule, tu ne sais plus ce qui est bien ou ce qui est mal, vous appelez cela de la tolérance, il n’y a pas de tolérance par le mal, il doit être écrasé.

 

Elle prend sa canne d’une main vigoureuse et frappe le parquet avec une énergie qui dit celle de sa volonté.

La Maman, furieuse

il doit être écrasé !

De plusieurs coups de canne elle semble vouloir écraser un être vivant.

Constant, avec douceur

Je t’en prie maman, ne te laisse pas emporter par ton premier mouvement, sachant dans quelle condition se présente la demande de monsieur Eck.

 

La Maman

Toujours les conditions, les circonstances atténuantes.

Sans répondre à sa mère, il s’adresse à sa femme.

 

Constant, ignorant sa maman

Hortense, dis nous ce qui s’est passé dans ton entretien avec monsieur Eck.

 

Madame Adeline

Hier...

 

La Maman, coupant la parole à Hortense.

Tu vois ces juifs se rendent justice. Ils viennent s’établir ici pour ruiner d’honnêtes gens par la concurrence.

 

Constant, suppliant.

Je t’en prie maman, permets qu’Hortense commence.

 

Madame Adeline

Il étaient vraiment très polis et on peut les estimer...

 

La Maman, coupant la parole encore une fois à Hortense.

Vois-tu ta main ouverte ! Tout le mal vient de toi et de ton discours ; ah ! Si tu m’avais écouté. L’estime de ces gens-là ! Voila une belle affaire vraiment ! Il n’y a pas de quoi se rengorger comme tu le fais.

 

La Maman, outrée

Ces juifs veulent s’emparer de nos biens, la fille n’est qu’un prétexte, c’est le nom qu’ils désirent.

Un moment de silence s’ensuit et c’est perdue dans ses pensées que la Maman fixe le plancher. Elle prend la main de Constant violemment.

 

La Maman, douce

Parle moi maintenant : comment vont tes affaires ? Tu penses te laisser berner par ces gens là ?

Constant hésite et regarde sa femme.

 

La Maman

Ce n’est pas de ta femme qu’il faut prendre conseil, écoute ta conscience.

Constant hésite encore.

 

La Maman, tendrement

C’est vrai ce que je crains ?

 

Constant

Oui.

Auparavant, la Maman exaltée avait tendu la main à Constant et il était venu s’asseoir auprès d’elle.

 

Constant, après avoir regardé sa femme

Tu as raison maman, nous t’avons caché la vérité.

 

La Maman, maussade

Avais-tu une meilleure confidente que moi, un autre soutien ?

 

Constant

Je ne voulais pas t’inquiéter, tu as besoin de repos. Pourquoi te tourmenter pour des embarras qui devaient durer peu de temps ?

 

La Maman

Je ne suis plus une enfant, je n’ai pas mérité que tu me fasses du chagrin. Je ne comprends pas qu’une telle pensée ait pu te venir !

 

Scène 5

Constant et sa fille, Berthe, montent dans une vieille calèche puis au coin de la rue, ils aperçoivent Michel Debs.

 

CONSTANT

Tiens, qu’est-ce que M. Debs fait par ici?

 

BERTHE

Il faut le lui demander.

 

CONSTANT

Ce n’est pas la peine.

Michel Debs les salue.

Est-ce que Michel Debs savait que nous devions aller au Thuit ce matin?

 

BERTHE

Comment l’aurait-il su?

 

CONSTANT

Tu aurais pu le lui dire hier au soir.

 

BERTHE

Qu’as-tu? Tu ne dis rien, tu n’es donc pas heureux d’aller au Thuit?

 

CONSTANT

Il a été un temps ou je n’avais pas de plus grand plaisir que d’aller au Thuit. C’est là que j’ai appris à marcher. C’est dans ce splendide jardin que tu as fait tes premiers pas. Et maintenant… je me demande si je ne vais pas être obligé de le vendre.

 

BERTHE, d’un air affolé.

Vendre le Thuit !

 

CONSTANT

Il faut que je t’avoue la vérité, si pénible qu’elle puisse être pour toi: nos affaires vont mal car la crise que nous traversons et les faillites nous ont mis dans une situation difficile. Quant au Thuit, hypothéqué déjà, il nous coûte plus qu’il ne nous rapporte. Ne sens-tu pas combien la pensée de m’en séparer m’attriste?

 

BERTHE

Ce n’est pas au Thuit que je pense, c’est à toi.

 

CONSTANT

C’était bien vraiment en bon père de famille que je soignais tout cela? Passons, as-tu deviné pourquoi M. Eck est-il venu hier soir?

 

BERTHE, levant les yeux sur lui un court instant, puis vivement les baissant.

Fais comme si je l’avais deviné.

 

CONSTANT, en souriant.

Ah! Petite fille, petite fille! Eh bien il est venu demander ta main pour M. Debs.

 

BERTHE, en regardant au loin.

Ah!

 

CONSTANT

C’est là tout ce que tu dis?

 

BERTHE

Qu’est-ce que maman lui a répondu?

 

CONSTANT

Qu’elle m’en parlerait.

 

BERTHE

Et toi qu’as-tu dit à maman?

 

CONSTANT

Que je t’en parlerais puisqu’il faut d’abord que tu répondes de toi même.

 

BERTHE

Est-ce que M. Debs sait que nous sommes… c’est-à-dire connaît-il la vérité sur la situation de tes affaires?

 

CONSTANT

Je l’ignore cependant il est probable qu’il ne sache pas toute la vérité. Mais quel rapport cela a-t-il avec la réponse que je te demande?

 

BERTHE

Ah ! Papa !

 

CONSTANT

C’est naïf, ce que je dis?

 

BERTHE, lui secouant le bras doucement, dans un geste de mutinerie caressante.

Si M. Debs, sachant que tes affaires ne vont pas bien, demande néanmoins ma main, c’est… qu’il m’aime.

 

CONSTANT

Ah! J’y suis!

 

BERTHE

Dame!

 

CONSTANT

Et cela te fait plaisir?

 

BERTHE

Tu demandes des choses…

 

CONSTANT

Alors tu ne soupçonnais pas qu’il t’aimât?

 

BERTHE

Je ne soupçonnais pas… c’est-à-dire que je voyais bien que Michel Debs était très aimable avec moi; partout ou j’allais je le rencontrais; toujours je trouvais ses yeux fixés sur moi très… tendrement; il avait en me parlant des intonations d’une douceur qu’il n’avait pas avec les autres, mais… les  choses n’avaient jamais été plus loin.

 

CONSTANT

Maintenant elles ont marché, et il dépend de toi qu’elles en restent là s’il ne te plaît point.

 

BERTHE

Je ne dis pas cela.

 

CONSTANT

Dis-tu qu’il te plaît?

 

BERTHE

Il est très bien.

 

CONSTANT

Il est vrai qu’il est juif.

 

BERTHE, stupéfaite.

Et qu’est-ce que tu veux que ça me fasse qu’il soit juif ?

 

Acte II

Scène 1

CONSTANT ADELINE, seul dans les rues d’Elbeuf

En racontant à ma femme que j’avais rencontré chez mon collègue, le compte de Cheylus, je ne lui ai pas dit toute la vérité. En réalité, c’est chez la maîtresse de mon collègue que je l’ai rencontré, chez cette Raphaëlle ! Mais pourquoi lui en aurais-je parlé ? À elle, cette femme qui ne sait rien de la vie parisienne ? Elle se serait fait du souci ! Il aurait fallu que je lui explique... (Réfléchissant) Elle n’aurait jamais compris. Si je vais parfois chez Raphaëlle, je ne fais qu’imiter plusieurs de me collègues qui ne sont pas plus embarrassés que moi à la table d’une ancienne cocotte. (Reprenant confiance en lui) En somme, qui nous invite ? Le comte ! (Accompagnant ces paroles de gestes)

D’ailleurs on ne refuse pas le comte de Cheylus, l’homme le plus aimable du monde ! La main toujours tendue et « Mon cher collègue » plein la bouche même avec ces ennemis. Mais comment supposer que quand il nous propose « Mon cher collègue, soyez donc assez aimable pour venir dîner avec moi lundi prochain », qu’ «avec moi »ne voulait pas dire chez lui? On sait que le comte de Cheylus est ruiné, mais puisqu’il donne de bon dîners, c’est qu’il a les moyens des les payer ? Quelle surprise si un Parisien devait révéler la vérité, toute la vérité à nous ses honnêtes convives ? (Reprenant son sérieux) C’est il y a vingt ans que le compte de Cheylus a fait connaissance de Raphaëlle, alors dans toute sa splendeur et au mieux avec le Duc de Naurouse, le prince Savine, Poupardin... Et j’en passe, en un mot.

 

Scène 2

Une femme dans une longue robe blanche regarde le feu d’une cheminée. Un grand appartement Haussmannien sombre à cause de tous les bibelots étalés sur toutes les étagères, sûrement les cadeaux de ses conquêtes. Son visage fin, ses lèvres rouges, sa prestance sont dignes des plus grandes dames.

 

RAPHAËLLE

Comme tu étais long, j’espère au moins que la tâche est accomplie !

 

FREDERIC

Non ! Il s’est défendu

 

RAPHAËLLE

Tu as fais exactement ce que je t’ai demandé ?

 

FREDERIC

Oui exactement.

 

RAPHAËLLE

Il fallait profiter de l’occasion, raconte moi tout, que lui as-tu dit ?

 

Il s’approche du feu et réchauffe ses mains.

RAPHAËLLE

Mon pauvre, comme tu es mouillé !

 

FREDERIC

Oui, le temps est très pluvieux, pourtant je l’ai accompagné les yeux fermés.

 

RAPHAËLLE

Je vais te donner tes pantoufles .

Elle ouvre une armoire, reste assez longtemps penchée, cherchant.

 

FREDERIC

Ne te trompe pas .

 

Elle se retourna et le fixe d'un air irrité.

RAPHAËLLE 

Cela fait trop longtemps qu’il est préfet.

 

FREDERIC

Sois tranquille, il ne le restera pas longtemps quand nous n’aurons plus besoin de lui.

 

Elle s’approche de lui avec les pantoufles, elle le fait asseoir et s’agenouille pour le déchausser.

RAPHAËLLE

Maintenant, raconte dans les moindres détails.

 

Elle s’assoit sur une petite chaise basse.

FREDERIC

J’ai évoqué les faillites, j’ai dit les choses les plus flatteuses.

 

RAPHAËLLE

Qu’a-t-il dit ?

 

FREDERIC

Tu ne devineras jamais, il m’a dit qu’il n’y avait pas de plus grande douleur.

 

RAPHAËLLE

As tu été compatissant comme il le faut ?

 

FREDERIC

oui j’étais compréhensif, j’ai partagé avec lui cette douleur. Je me suis rappelé les techniques d’un vieux coquin et j’ai mis à sa disposition 50 000 francs.

 

RAPHAËLLE

Et il a refusé ?

 

FREDERIC

Oui, pourtant j’ai insisté tant que j’ai pu, je me suis même fâché.

 

RAPHAËLLE

Donc, il n’en a pas besoin.

 

FREDERIC

Crois tu que mon enquête à Elbeuf a été mal menée, il était juste gêné.

 

RAPHAËLLE

S'il était vraiment en faillite, il aurait dû accepter ton offre.

 

FREDERIC

c’est une affaire de dignité, un homme comme lui n’accepte pas de prêt.

 

RAPHAËLLE, dos-à-dos avec lui, après un instant de réflexion

Il faut recommencer, tu y retourneras demain matin, tu pourras jouer au Tartuffe, je te signerai un chèque et tu diras que tu as pensé à son malheur toute la nuit.

 

FREDERIC

Il se méfiera.

 

RAPHAËLLE

Peu importe ! Quand il verra qu'on lui demande quelque chose en échange, il sera déjà pris. Il ne pourra plus se dépêtrer.

 

FREDERIC

Adeline est une perle, ne le laissons pas nous échapper des mains.

 

RAPHAËLLE

Maintenant tu peux dormir tranquille.

 

FREDERIC, entraînant Raphaëlle dans une danse folle

Nous pouvons danser maintenant, nous le tenons !

 

Scène 3

Constant Adeline se trouve à Paris, dans un des nombreux quartiers Haussmanniens aux riches décorations. Il y règne une forte activité, des dizaines de personnes s’activent autour de lui. Des bourgeois habillés de velours et essayant de se fondre dans la masse des riches gens. Il se rend à l’assemblée où les affaires l’attendent.

 

CONSTANT ADELINE, à part

A qui pourrais-je exposer mes doutes sur ce cercle ? Mais oui pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? La meilleure personne pour me répondre est mon cher collègue le comte de Cheylus ! Il est si bien au courant de la vie parisienne et de même la présidence de ce cercle lui a déjà été proposée. Il connaît l’affaire et l’a sûrement pesée avec ses bons et ses mauvais côtés. Je l’interrogerai à la chambre…

 

M. DE CHEYLUS

Bien le bonjour monsieur Adeline ! Quel bon vent vous amène à la chambre aussi tôt ?

 

CONSTANT ADELINE

Je souhaite vous parler d’une affaire qui ne cesse de me tourmenter.

 

M. DE CHEYLUS

Je suis tout ouïe !

 

CONSTANT ADELINE

C’est au sujet de la présidence d’un cercle de jeu…

 

M. DE CHEYLUS

Et vous hésitez ? J’avoue que je n'ai pas eu vos scrupules, et que, quand l’affaire m’a été proposée, j’ai tout de suite demandé l’autorisation au préfet de police… Qui… Tout de suite me l’a refusé.

 

CONSTANT ADELINE

Est-il indiscret de vous demander les raisons qu’il vous a données pour expliquer son refus ?

 

M. DE CHEYLUS

Pas du tout, il m’a dit qu’avec moi pour président, ce cercle deviendrait en quelques mois un tripot ; que j’étais trop faible, trop indulgent, trop aimable : que je serais trompé, débordé, en un mot tout ce qu’on peut trouver quand on ne veut pas donner les vraies raisons d’un refus.

 

CONSTANT ADELINE

Et ces raisons sont vraies ?

 

M. DE CHEYLUS

Vous les devinez sans peine. On ne voulait pas donner un moyen d’influence à un adversaire ; et, d’autre part, on ne voulait pas se faire accuser d’accorder à un ennemi une faveur qu’on refusait à des amis.

 

CONSTANT ADELINE

Alors ?

 

M. DE CHEYLUS

Si vous voulez me prendre dans votre comité, j’accepte. Que vous dire de plus ?

 

CONSTANT ADELINE

Rien, si ce n’est vous remercier pour votre bonté en espérant que le cercle reste un endroit propre et sans problèmes.

 

M. DE CHEYLUS

Sur ce, je vous laisse, bonne chance pour la suite.

(A part) Enfin ! Éloigner Frédéric de Raphaëlle. La création de ce cercle est une excellente nouvelle. Frédéric devra s’y rendre régulièrement et je pourrai l’épier. Sa place dans la maison est trop grande et ne fait qu’augmenter. Avec ce cercle, il sera occupé de jour…comme de nuit. Accepter est la meilleure solution et je pourrai en profiter. Je ne dois pas rater une occasion comme celle-là. Adeline est un homme droit, le cercle devrait rester fréquentable.

 

Scène 4

Le préfet, lisant ses lettres dans son bureau personnel, très garni en livres et en objets de peu de valeur.

Cher préfet,

je me nomme Adeline, industriel à Elbeuf. Je m’adresse a vous car j ai le projet d ouvrir un cercle de jeux. Si jamais vous doutez de ma sincérité et de mon honnêteté, j’ai quelques arguments à vous soumettre, si vous le permettez. Tout d abord, j’aimerais vous rappeler que moi, Constant Adeline, ne vous ai jamais rien demandé. De plus, mes associés tels que que le Duc d'Aucalia, le comte de Cheylus sont des personnes de confiance. Si vous avez des doutes, vous n’avez qu’à vous renseigner mais comme leur nom et leur titre l'indiquent, ce sont des personnes de confiance. J’espère que vous m'accorderez cette autorisation.

 

Scène 5

La Maman s’oppose au mariage entre Michel et Berthe. Les Elbeuviens se posent des questions sur la réalisation du mariage, sachant que les deux grand-mères concernées sont très pieuses, et aussi strictes l’une que l’autre dans la pratique religieuse : l’une est juive, l’autre catholique.

Dans la chambre de Berthe. Adeline entre, s’assoit sur le lit de Berthe.

 

ADELINE

Ta grand-mère s’est opposée assez clairement et assez fermement sur la question, (souriant) tu la connais, religieuse comme elle est, ça a dû être dur à avaler, elle ne s’y est d’ailleurs pas encore fait. Elle refuse jusqu’aux visites de Michel, on dirait qu’elle veut t’envoyer au couvent !

 

BERTHE, sur le même ton, le coupant

Venant d’elle, ça ne m’ étonne pas.

 

ADELINE

Elle a aussi peur de ce qu’on pourrait dire de notre famille. A la messe, on la regarde, et ça l’inquiète. Ta mère est plus favorable au mariage, elle ne s’oppose pas, c’est déjà ça.

 

BERTHE, voyant son expression

Oui, je vois. Mais tu ne voulais pas me dire autre chose ?

 

ADELINE

Oui, je voulais t’annoncer la création de mon cercle de jeu à Paris. En tant que fille du président du cercle, Tu est invitée à la cérémonie d’ouverture, et Michel aussi.

 

BERTHE, surprise et visiblement très heureuse

Vraiment ? Depuis que tu m’as dit que Michel voulait m’épouser, je me suis rendu compte que j’avais vraiment des sentiments pour lui et plus il passait, plus je lui trouvais de qualités, plus il me plaisait et plus je désespérais de renoncer à lui. Et tu me dis là que nous nous verrons sans la crainte des regards désapprobateurs de la Maman ?

 

ADELINE

Eh oui. Dois-je te commander une toilette neuve ?

 

BERTHE

Non, ce n’est pas la peine, j’ai ma robe de tulle rose, elle me va à merveille, je ne l’ai mise que très rarement, et Michel ne l’a pas vue.(rougissant) Ce sera pour lui que je m’ habillerai.

 

ADELINE

On sera tirés d’affaire avec l’argent que je vous apporterai ; mais ta mère trouve que c’est gagner de l’argent sale et elle a peur des vices que le jeu apporte. Elle n’est pas très emballée par la cérémonie.

 

BERTHE, soudain méfiante

Mais tu n’iras pas risquer de perdre au jeu, quand même ?

 

ADELINE

Ne t’inquiète pas pour ça, il faudra beaucoup me tourmenter pour que j’y cède.

 

BERTHE, à son père sur le seuil de la porte

Je reconnais bien là mon bon père !

 

Acte III

Scène 1

Bruits de fond constants, des joueurs prennent des jetons contre de l’argent ; vont s’asseoir pour jouer ; Adeline arrive et s’accoude à une rambarde sur une estrade au-dessus des joueurs  ; douche [lumière] très forte ; la lumière générale s’étoffe petit à petit ; douche jaunâtre sur les joueurs.

 

UN JOUEUR

Ah monsieur le président ! Vous voilà enfin ! Faites nous l’honneur de prendre les cartes aujourd’hui ! La lumière générale arrive brusquement.

 

ADELINE, avec un regard et un sourire aimable

Non mon cher, je ne joue pas.

Il regarde le public et se met à penser. Douche très forte sur Adeline ; la lumière générale s’étoffe petit à petit ; douche jaunâtre sur les joueurs.

Ah, pourquoi toutes ces personnes jouent ? En même temps, je peux comprendre, et j’admets, qu’on se passionne pour ces luttes à coups de cartes, qui se passent en quelques minutes, et peuvent avoir pour conséquence la ruine ou la fortune. Mais, fallait-il que j’en conclus que, parce que je m’intéresse maintenant au jeu, il fallait que je prenne les cartes ? Je ne le crois pas, m’enfin il n’en était pas moins vrai qu’il y avait là quelque chose de caractéristique, ce serait un mensonge et hypocrisie de ne pas en convenir...

La lumière générale arrive brusquement.

 

UN JOUEUR

Eh bien mon président, vous ne jouez jamais !

 

UN AUTRE JOUEUR

Quel beau banquier vous feriez !

 

Bruits de fond, tous les joueurs demandent à Adeline de les rejoindre en faisant de grands gestes ; La lumière générale s’étoffe petit à petit ; douche jaunâtre sur les joueurs ; douche très forte lorsqu’Adeline fait un signe d’approbation méprisant ainsi qu’un sourire un peu niais. Il regarde à nouveau le public.

 

ADELINE

Le jeu a cela de bon, qu’il n’exige pas un talent particulier pour réussir, un long apprentissage, au moins dans le baccara, le gain comme la perte sont affaire de hasard, tout est question de providence: Il y a des gens qui ont cette chance, et ils gagnent ; il y en a qui ne l’ont pas, et ils perdent, voilà tout.

La lumière générale arrive brusquement.

 

UN JOUEUR, avec un accent provençal

Mais un président qui ne touche jamais aux cartes dans son cercle c’est comme un pâtissier qui ne mange jamais ses gâteaux !

Bruits de fond, tous les joueurs demandent à Adeline de les rejoindre en faisant de grands gestes.

Mépris d’Adeline ; La lumière générale s’étoffe petit à petit ; douche jaunâtre sur les joueurs ; douche très forte. Adeline repart dans ses pensées, son regard replonge dans le public.

 

ADELINE

Évidemment mon abstention systématique pouvait être mal interprétée. Pourtant, quand j’étais tout jeune et que je jouais au bille à pair ou non avec mes camarades, j’avais une chance constante, cela était un fait. Cela pourrait arranger mes affaires si en quelques coups de cartes, je gagnais deux cent mille francs : Quelle joie pour Berthe, car ils seraient pour elle. Adeline hésite de longues secondes. Je jouerai donc, une fois, rien qu’une fois, et après ce sera fini : on est pas joueur parce que l’on prend un billet de loterie.

 

UN CROUPIER

Qui prend la banque ?

 

ADELINE

Moi.

Adeline sort de la douche, descend de l’estrade, rejoint la douche jaunâtre des joueurs et commence à jouer.

 

Scène 2

Dans un bureau, peu meublé avec une luminosité faible, posé sur la cheminée une horloge de cuivre aux aiguilles dorées : minuit sonne. Une femme en pleurs frappe à la porte du bureau, Adeline assez fatigué de sa journée ouvre en peignoir.

 

MME COMBAZ

M. Adeline ?

 

ADELINE

Oui c’est moi, pouvez vous vous présenter ?

 

MME COMBAZ

Je suis Mme COMBAZ, je viens à vous pour vous faire une demande.

 

ADELINE

Seriez-vous la femme du célèbre peintre ?

 

MME COMBAZ

Oui et ce dont j’ai à vous faire part le concerne.

 

ADELINE

Entrez donc et faites-en moi part.

 

Adeline fait entrer Mme COMBAZ et se dirige vers deux fauteuils au fond de la pièce.

 

MME COMBAZ

Il y a sept ans que je suis mariée, mais aujourd’hui mon mari joue dans votre cercle. Voici la raison de ma venue : je vous demande d’interdire a mon mari l'entrée du Cercle.

 

ADELINE, étonné de cette demande

Mais pourquoi donc très chère ?

 

MME COMBAZ

Car depuis l’ouverture de celui-ci, mon mari est en train de nous ruiner mes filles et moi. Je vous en supplie, faites de votre possible pour l’empêcher d’approcher une de vos tables de jeux.

 

ADELINE, perplexe face à cette révélation

Je ne sais que dire face à ce que vous venez de me demander car j’ai besoin d’un minimum de clients pour faire prospérer le cercle. Laissez moi réfléchir juste le temps d’une petite tasse de thé entre vous et moi.

 

Adeline et Mme COMBAZ s’installent dans les deux fauteuils rouge l’un face à l’autre.

MME COMBAZ

M. Adeline, je vous en supplie, veuillez prendre au sérieux ma demande. Si vous ne voulez pas le faire pour moi, faites le pour mes petites filles qui pourraient sans votre aide vivre dans le froid et la peur des rues de cette ville.

 

Adeline sert le thé.

MME COMBAZ

Je vous prie de mettre votre fille à la place des miennes et vous saurez faire part de ma requête.

 

ADELINE, d'un ton coupable

Je vous promets de faire tout ce qu'il me sera possible.

 

MME COMBAZ

Oh ! Mille mercis ! Je savais qu’en venant ici, je ne me déplacerai pas en vain, mais je ne sais pas moi même comment vous pouvez nous sauver et de quelles façons vous pouvez agir sur mon mari.

 

ADELINE, penseur

Je saurai trouver les mots face à la bêtise de votre mari, même si je suis à l’origine de celle ci …

 

MME COMBAZ

Vous n’y êtes pour rien M. Adeline. Vous êtes un honnête homme ; seule son obstination à jouer y est pour quelque chose

Adeline finit sa tasse de thé et raccompagne Mme COMBAZ à la porte.

 

Scène 3

Adeline s’apprête à rentrer dans la salle et aperçoit Combaz. La musique d’ambiance s’arrête, le regard des deux personnages se croise. Les projecteurs se dirigent vers eux et éclipsent les autres joueurs. La pièce est plongée dans un silence pesant, coupé lorsque Combaz reprend la partie et gagne en poussant un cri de joie. Adeline se dirige directement vers lui.

 

ADELINE

Pourquoi êtes-vous venu au cercle ?

 

COMBAZ, change d’humeur en un instant avec un air troublé

Bah euuhhh… Je ne pouvais pas résister. Mais… enfin qui êtes-vous ?

 

La scène reprend avec la musique, le bruit des joueurs et la lumière.

ADELINE

Je suis le propriétaire du cercle.

 

COMBAZ

Mais pourquoi venez-vous m’interpeller ? Je suis un joueur comme les autres, je viens me détendre, faire une petite partie.

 

ADELINE

Je connais votre situation. (Silence) Vous ne devriez pas jouer.

 

COMBAZ

Comment ca ? Je ne vous connais pas !

 

ADELINE

Eh bien…

 

COMBAZ

Eh bien quoi ?

 

ADELINE

Votre femme m’a parlé.

Grand silence.

 

COMBAZ, avec une expression d’incompréhension

Cela ne vous regarde pas. Ce sont mes problèmes.

 

ADELINE

Je ne suis pas d’accord ! Cela se passe dans mon cercle ! Si votre femme m’a parlé c’est qu’elle est inquiète ! Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous êtes revenu au cercle ?

 

COMBAZ

C’était plus fort que moi, j’en avais besoin, il fallait que je le tente, je le sentais trop bien, c’était ma dernière chance et j’ai eu raison ! Je vais sauver ma famille, réjouissez vous pour moi, pourquoi restez vous froid ? Ne soyez pas énervé, regardez j’ai gagné, oui J’AI GAGNÉ !!!

 

ADELINE

Mais vous ne comprenez rien ! Vous êtes fou ! Voulez-vous vraiment risquer de tout perdre pour un jeu ? Certes, vous avez  gagné mais ce n’est rien comparé à ce que vous auriez pu perdre ! Vous mettez votre famille en danger ! Avez-vous réfléchi une seule seconde à ce qui se serait passé si vous aviez perdu ? Je ne veux plus vous voir ici, ne vous avisez pas de mettre un pied au cercle de jeu une nouvelle fois ! Ce jeu vous a causé suffisamment d’ennuis je pense ! Je vais prendre les mesures nécessaires pour que vous cessiez de jouer. Enervé à l'entrée du cercle Ah ! mon cher Frédéric ! Je vous cherchais !

 

FREDERIC

Pourquoi donc ?

Adeline va dans son bureau et fait signe à Frédéric de le suivre.

 

ADELINE

J’ai besoin de vos services.

 

FREDERIC

Je vous écoute ?

 

ADELINE

Je voudrais que vous vous assuriez que Combaz ne remet pas un pied ici.

 

FREDERIC

Puis-je savoir pourquoi ?

 

ADELINE

Il est ruiné.

 

FREDERIC

Il vient d’empocher vingt-cinq milles francs !

 

ADELINE

Je souhaite qu’il les garde. Il en aura besoin pour sa famille.

 

FREDERIC, avec un air étonné

Mais je ne comprends pas ! Le cercle est un jeu d’argent, comment va-t-il marcher si l’on écarte les joueurs ? C’est la vie ! Ce sont les règles !

 

ADELINE

Je ne vous demande pas de comprendre, je vous apprécie mais je suis votre patron et je vous demande de respecter ma décision.

 

FREDERIC

Ce sont les règles…

 

Frédéric sort du bureau.

 

Scène 4

Une horloge sur une cheminée sonne 9h00.

 

ADELINE, avec un mouvement de surprise

Faites-le monter. (Se tournant vers Frédéric) Un ami de Nantes. (Se dirigeant vers cet ami et regardant autour de lui avec curiosité)

 

DANTIN

Verriez-vous un inconvénient à ce que nous fissions quelques carambolages ? Il importe de gagner l’heure sans provoquer l’attention.

 

ADELINE, après une courte hésitation

Après tout !

 

Dantin et Adeline s’installent à un billard et jouent. Les autres joueurs de Baccara arrivent. Alors ils allèrent tous dans la salle de Baccara. Les joueurs autour d’eux bavardent futilement, s’esclaffent, rient en tenant une coupe de champagne. La galerie autour d’eux est peu occupée. Frédéric s’approche de l’ami du président.

 

FREDERIC

Monsieur Dantin.

 

DANTIN

Monsieur Le Vicomte de Mussidan.

 

FREDERIC, allumant la partie lui-même

Monsieur ne joue pas ?

 

DANTIN

Pour jouer il faut savoir, et je vous avoue qu’à Nantes nous ne cultivons pas encore le Baccara.

 

FREDERIC

Cependant…

 

DANTIN

Au moins dans ma société ; c’est même la première fois que je vois jouer ce jeu.

 

FREDERIC

Il est bien facile.

 

DANTIN

Il me semble ; je ne dis pas que je ne me risquerai pas demain, mais aujourd’hui je regarde ; il y a des choses que je ne comprends pas. Ainsi, pourquoi le banquier ne paye-t-il pas et ne reçoit-il pas ?

 

FREDERIC

C’est le croupier qui paie et qui reçoit pour la banque.

 

DANTIN

Ah ! C’est le croupier, le fameux croupier qui est assis en face du banquier ; je croyais qu’il n’y en avait pas dans les cercles. Frédéric s’éloigne et passe dans une autre salle.

 

ADELINE

Vous n’aviez pas besoin de jouer l’ignorance, le vicomte du Mussidan est le vrai gérant du cercle et c’est un autre moi-même.

 

DANTIN

Pardon, je ne savais pas. Les joueurs se préparent à jouer, un d’eux distribue les cartes. La partie suit son cours. Et donc c’est cette carte la plus forte ?

 

ADELINE

Non, à vrai dire…

 

DANTIN, coupant la parole à Adeline et enchaînant naïvement

Qu’est-ce que cette carte ?

 

ADELINE

Eh bien si on l’util...

 

DANTIN, coupant de nouveau la parole

Et donc avec celles-ci vous gagnez ?

Malgré ses questions incessantes, Dantin n’en est pas moins attentif au jeu et ne quitte pas la table des yeux. Soupirs d'Adeline. Après quelques temps de jeu, Dantin fait des signes de tête à Adeline mais ce dernier continue de jouer sans apercevoir Dantin. Il s’éloigne donc de la table.

 

DANTIN, discrètement

Pourrions-nous nous entretenir pendant deux ou trois minutes ?

 

ADELINE, Chuchotant

Vous avez-vu quelque chose ?

Dantin fait un léger signe de la tête et ils se retirent dans le cabinet du président.

 

DANTIN, siffle ses paroles du bout des lèvres

J’ai vu que le croupier a étouffé de quarante-cinq à cinquante louis, rien que dans les trois dernières banques.

 

Scène 5

Dans la salle à manger chez Adeline avec Berthe, Adeline, Mme Adeline, la Maman Adeline préoccupée par le jeu.

 

BERTHE, impatiente

Irons-nous au Thuit demain ?

 

ADELINE

Non, je ne peux pas demain, je retourne à Paris.

Adeline emmène sa mère chez elle puis, ayant embrassé sa fille et Léonie, il emmène sa femme dans son bureau.

 

Mme ADELINE

Que se passe-t’il ? Tu as l’air vraiment préoccupé.

 

ADELINE, après avoir refermé la porte

J’ai quelques chose de grave à te dire, qui va te causer une peine… et qui me cause une cruelle humiliation.

Elle le regarde effrayée et il détourne les yeux. Elle s’approche de lui et l’enlace

 

Mme ADELINE

Tu as joué !

 

ADELINE

Oui.

 

Mme ADELINE

Ô ! mon pauvre mari.

 

ADELINE

On m’a poussé a jouer…

 

Mme ADELINE

Je le pense bien.

Elle se remet du choc. Faisant preuve d’indulgence, elle répond calmement :

Combien ?

 

ADELINE

Il me faut vingt-cinq mille francs.

 

Mme ADELINE

Nous les trouverons, ne t’inquiète pas. C’est un accident, une faillite : justement nous n’en avions pas encore eu cette année.

 

ADELINE

Chère femme, quelle bonté en toi, quelle indulgence !

 

Mme ADELINE

Veux-tu bien te taire !

 

ADELINE

Je ne t’ai pas tout dit.

 

Mme ADELINE

Mon Dieu !

 

ADELINE

Tu sais les trente-cinq mille francs de la faillite Beaujour ?

 

Mme ADELINE

Cela ne provenait pas de faillite Beaujour.

 

ADELINE

Qui t’a dit ?…

 

Mme ADELINE

Tu les avais gagnés au jeu.

 

Mme ADELINE

Est-ce que tu sais mentir ? Cois-tu qu’on peut vivre pendant vingt-six ans unis de cœur et de pensées sans se connaître et sans lire l’un dans l’autre ? J’ai bien vu d’où venait cet argent. Et c’est là ce qui,  depuis, a fait mon tourment ; puisque tu avais joué, tu pouvais recommencer et j’en tremblais. J’ai voulu t’exprimer «  mes,,,,,, »  . J’étais certaine que ces trente cinq mille francs provenaient du jeu, je n’ai donc pas voulu m’engager à les dépenser, tu n’as plus qu’à les prendre. C’est donc soixante mille francs que tu dois ?

 

ADELINE

Ce n'est pas faux.

 

Mme ADELINE

Eh bien.

 

Scène 6

Adeline bien vêtu dans les couloirs d’un bâtiment imposant, les couloirs sont larges tendus de toiles finement brodées, des lustres reflétant la lumière grâce aux nombreux cristaux, le sol est recouvert d’un tapis rouge.

 

ADELINE

Je ne pouvais pas me demander, cependant, pas même à mes meilleurs amis ; et par cela je me trouvais singulièrement embarrassé, confus, comme si je me sentais coupable… (Entrant dans une salle)

 

BUNOU-BUNOU

Justement, je vous écrivais (serrant la main à Adeline, et s’asseyant près de lui).

 

ADELINE

Comment ? Quand  devions-nous nous voir ?

 

BUNOU-BUNOU

C’est une lettre officielle ; lisez là, vous verrez de quoi il est question.

 

ADELINE

Votre démission du comité du Grand I (très ému) et pourquoi ?

Bunou-Bunou est embarrassé.

Je vous en prie (insistant).

 

BUNOU-BUNOU

Je suis fatigué le soir, j’ai besoin de me coucher de bonne heure ; alors vous comprenez.

 

ADELINE, ayant peur de comprendre

Ce n’est pas là votre raison. (le cœur serré) Votre vraie raison ; je fais appel a votre amitié ; parlez moi franchement, comme à un… ami.

 

BUNOU-BUNOU

Eh bien, j’ai entendu dire des choses graves, très graves.

Adeline pâlit

Vous savez mieux que moi qu’à Paris il est d’usage de donner des surnoms aux cercles : ainsi La Crémerie, Les Mirlitons, le Grand I. Mais ces surnoms sont quelques fois accompagnés d’autres qui sont des qualificatifs. Ainsi il paraît qu’il y en a un qui s’appelle l’Attique, un autre qu’on appelle La Béotie, et ces appellations empruntées à la Grèce sont significatives. Eh bien, ce n’est pas tout ; il paraît que Le Grand I, s’appelle l’Epire ou, dans la langue du boulevard, Le Pire. Alors j’aime mieux me retirer. Je ne sais si je m’abuse, il me semble qu’en restant je compromettrais ma réélection. Que ferais-je si cessais d’être député ? Je ne serais plus rien.

 

ADELINE, soupirant

Vous avez raison, je vous approuve complètement. Moi aussi, je vais me retirer.

 

BUNOU-BUNOU

Vous feriez cela ?

 

ADELINE

Nous avons réunion du comité mercredi, venez-y, nous donnerons nos deux démissions en même temps.

 

BUNOU-BUNOU, dans un cri

Ah ! Mon cher ami ! quel plaisir vous me faites !

 

Acte IV

scène 1

Adeline marche pensif dans la rue. Tantôt atterré par la nouvelle, tantôt réjoui pour le mariage de Berthe.

 

ADELINE

Comment ose-t-il me faire chanter à ce point, mettre mes activités au cercle dans son journal me ferait perdre ma réputation ainsi que mon honneur et celui de toute ma famille. Maudite lettre.

 

Plusieurs passants lui adressent la parole

 

Passants

Bonjour M.Adeline ! Bonne journée M.Adeline !

 

ADELINE (toujours pensif)

Que faire ?

Interrompu par les passants entre les répliques

La seule bonne nouvelle vient du côté des Eck avec leur consentement pour le mariage, j’ai réussi à les raisonner. (Brandissant le journal) Cependant, devrais-je répondre à son attaque ou l’ignorer ? (Reprenant espoir) Si je dois me défendre il me faut avouer : le cercle de jeu, mes parties piégées, je ne pourrai m’expliquer qu’après cela. (Mélancolique) Mais de toute manière qui me croira … Il ne me reste qu’à céder. Si je leur accorde ce qu’il souhaite une première fois ne faudra-t-il pas céder sans cesse jusqu'à ma fin. (Il arrive dans un lieu tranquille.) Ne serais-je plus qu’un objet de mépris pour cette ville. Adeline déchire le journal au vent.

 

Scène 2

ADELINE, seul sur scène, dans l’obscurité. Juste une lueur sur son visage. Il passe aux aveux.

De retour de la maison de campagne où était ma mère, je lui ai fait part de mes sentiments et de la situation dans laquelle je suis depuis un certain temps. Pour ne pas lui avouer mon état psychologique et mes problèmes de jeu, j’ai préféré inventer un problème physique. Plus tard, ma fille est venue me voir très joyeuse, puisque leur mariage était accepté… (Silence ) Lors de ma venue à Paris pour une réunion avec les autres députés, des personnes à qui je pensais pouvoir me fier m’ont interpelé pour me proposer de créer un cercle de jeu avec eux afin d’avoir un cercle respectable moralement et financièrement. Je ne pensai pas qu’une telle décision allait perturber le cours de ma vie. (il prend un air désespéré) Le Vicomte de Mussidan me donna 50 milles francs venant de la caisse du cercle, alors que je l’ignorais. La première fois que j’ai joué, j’ai gagné trente-cinq milles francs ajoutés au vingt-cinq milles francs que l’on ma donnés. En jouant dans ce cercle de jeu, j’ai perdu la totalité de mes gains et , je me suis donc retrouvé plusieurs fois à me réveiller dans la rue sans rien avec une dette de soixante milles francs. En remboursant ces soixante milles francs j’aurais pu m’acquitter de la présidence du cercle car sans rembourser cette somme qui appartient à la caisse, il m’était impossible de démissionner. J’ai donc remboursé vingt-cinq milles francs ce qui m’a permis de démissionner. J’ai renoncé au jeu et à la présidence du cercle. Ce cercle m’a causé que des ennuis et a ruiné ma carrière de député. Par peur de déshonorer ma fille et son mariage à cause du papier qui paraîtra demain à mon nom dans les journaux, j'ai décidé d'en finir. Adieu !